Le vieillard et l'acacia

05/01/2023
Un texte écrit dans le cadre du passage du tweet à la nouvelle. Le tweet qui a inspiré cette histoire est à retrouver à la fin du texte.

La neige s'est déposée partout autour de l'habitation en terre cuite. Par un volet mal fermé, une délicate étoile de glace vient fondre sur le sol poussiéreux. Malgré la morsure ardente du froid, le vieillard n'y résiste pas. Il enfile ses bottes, son manteau, marche difficilement jusqu'au bout de son pré, au pied de la dune enneigée. Il est là, l'acacia. Ses feuilles vertes ployant sous la neige, sans rompre, ses fleurs jaunes perçant les flocons.

Comment oublier la rage des hommes ? Des années auparavant, il avait combattu et éteint des regards voilés, l'intelligence volée par la noirceur des sentiments brutaux. Ceux qui, pendant des années, avaient tué, violé, torturé, au point de ne plus voir chez l'autre que quelques instants de souffrances à consumer. Les vents de la guerre avaient semé les spores aveugles de la rage. Les mots les frappaient sans les toucher. Dans son camp comme dans l'autre, les hommes étaient devenus sourds.

Achim caresse les pétales blancs des fleurs de l'acacia.


L'effluve le draine vers le passé,

Dans les affres désertiques,

Où le sable aiguise patiemment,

Les âmes damnées pour le pire.

Les tirs-ratés goulûment absorbés par les dunes

Détonation / Crissement

Les tirs-succès froidement plantés dans la chair tendre

Détonation / Cri.

Essai/Résultat, au petit bonheur la chance. Mais guidé par la haine des hommes, l'aléatoire suit fidèlement le chemin pavé de la mort.

Et les corps tombent, un à un.

Le soir, ils recevaient le courrier de l'arrière. Même les jeunes faisaient la queue pour obtenir leurs lettres. Le réseau couvrait tout le désert, mais, dans la nuit glacée, les cristaux liquides ne remplacent pas la chaleur de l'écriture manuscrite.


Les pétales se confondent avec la neige.


Anis lui apporta une lettre épaisse, un soir d'automne, un énième soir de sang. Il n'avait pas l'habitude d'en recevoir. Sa mère ne savait pas écrire. Il reconnut la calligraphie de son voisin, qui vivait à trente minutes de marche de la maison familiale. Par cette main étrangère, son plus proche parent lui offrait son quotidien. Les aller-retours au puits, les chèvres qui se lamentent, le froid mordant de la nuit, le rire des amis, l'acacia qui vieillit, les échos lointains des combats, les nuits sans sommeil, l'attente du retour. Délicatement coincée entre deux feuilles de papier, une fleur d'acacia fraîchement cueillie luttait pour respirer.

Une fois par semaine, avant de s'endormir, le benjamin du groupe et lui s'imprégnaient de son odeur. Le jeune homme reniflait toujours en premier en ouvrant rapidement l'enveloppe. Il venait de la ville. Il voyait dans la senteur florale la couleur du vert. Achim percevait plutôt le tronc écartelé du vieil acacia, au pied de la dune. Le corps noueux de sa mère qui s'étire pour lui voler quelques fleurs. Les deux comparses rêvaient printemps.


Achim titille une graine gelée.


Les semaines qui suivirent, ils combattirent moins férocement qu'à l'accoutumé, guidant l'aléatoire sur le chemin pavé de la vie. L'odeur de l'acacia remplaçait l'odeur du sang. Mais un soldat n'est pas parfumeur. Leurs faibles performances ne passèrent pas inaperçues. Toute une nuit, le général lui-même vint battre Achim sous les yeux de son ami. L'enveloppe tomba de sa poche. De rage, Anis trancha la gorge de son chef.

Corde tendue.

Corps pendu.

Spirale.


D'un pincement sec, le vieillard révèle le cœur de la graine d'acacia.


Cédant aux chants funèbres, Achim oublia la fleur et son odeur, qu'il portait toujours sur lui. Le chemin pavé de la mort, il le parsema des cendres de son propre camp. La nuit, une flamme allumée, l'odeur du pétrole. Des poursuivants épuisés par le souffle éreintant du sirocco.

Une graine poussait, secrètement, dans l'ombre de l'enveloppe.

Des semaines après, il rentra chez lui.

Fumée.


Une larme pourrait geler sur les yeux secs du vieillard.


Sa désertion avait coûté la vie à sa mère. Le vieil acacia n'était plus qu'un tronc noirci au cœur. Pendant des jours, il resta assis dans les décombres de sa casbah, s'asphyxiant lentement dans les fumerolles de sa vie passée.

Jusqu'à ce que perce de nouveau la fragrance de la fleur d'acacia à travers le papier manuscrit.


Frisson.

Le jeune acacia se porte bien. Plongé dans le froid, le sang du vieillard ralentit. Son corps retourne vers le gourbi, mais son esprit reste accroché dans les branches du jeune acacia. Achim s'endort, transi sur son lit, sans prendre la peine de s'emmitoufler sous sa couverture.

Une infusion de bergamote refroidit sur la table de la cuisine. Négligemment jeté sur le dossier d'une triste chaise, un tablier attend le prochain coup d'horloge pour reprendre vie. Des bottes couvertes de boues, à l'entrée, sont prêtes à partir, mais leur maître n'est plus.

La rage des hommes ne s'oublie pas, elle se perd dans une senteur printanière.

Jusqu'au retour de l'automne.

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