Néine et le désordre des Temps

28/01/2023

Un texte écrit dans le cadre du passage du tweet à la nouvelle. Le tweet qui a inspiré cette histoire est à retrouver à la fin du texte.

C'était samedi hier, dimanche aujourd'hui, mardi demain. Cela fait des vies que les jours ne tournent plus vraiment ronds dans sa tête. Elle passe son temps à essayer de lui donner du sens, à reconstruire doucement le tempo régulier qui lui manque. Sa lune lui sonne chaque heure, car il peut s'écouler des siècles sans qu'elle ne s'en rende compte.

À l'origine, Néine n'était qu'une Antarkhè comme les autres. Elle n'avait pour passe-temps que de courir parmi les astres, de rugir dans les trous noirs. La Terre qu'on lui avait confiée, elle la chérissait, bien qu'elle ne savait pas encore comment s'en occuper. Un temps, elle dut s'inquiéter du sien. Elle commença à poser les questions interdites dès les premiers - et derniers - instants de son éducation, dans un recoin du cosmos.

À cet instant, ni passé, ni présent, les quinze antérieurs attendaient patiemment Ananta, les jambes soigneusement croisées en tailleur. Néine, elle, ne résista pas à l'envie de plonger sa main dans le fleuve chaotique du temps, qui tournoyait autour d'eux. Elle admirait son inconstance. Le temps ne s'écoulait pas, il allait dans tous les sens, et c'était à son groupe qu'incombait la tâche de le définir pour chacune de leurs Terres.

Ananta s'était rappelé à sa présence d'un bref écho, aussi ferme que délicat.

Néine lui avait demandé, toute fluctuante.

« Qu'est-ce que le Temps ? » / « Le Temps n'est pas. »

Une main dans un fleuve.

« Qu'est-ce que je sens ? » / « Tu sens ton être. »

Un bruissement dans l'espace.

« Qu'est-ce que je suis ? » / «Tu es un sens. »

Une comète qui passe.

« Quel sens donner ? » / « Donnes ton Temps »

Une masse déformée.

« Le Temps n'est pas ? » / « Tu es le Temps »


« Pourquoi ? »


Une onde immobile parcourut les Antarkhè. Aucune molécule ne s'agitait, le silence régnait. Sans réponse à apporter, Ananta bouscula Néine dans le fleuve temporel. Sa Terre se noyait à ses côtés, les astres hurlaient, car un Être devenait néant. Du moins, dans cet espace-temps.

Son Univers n'étant plus le sien, Néine bascula dans un autre en traversant le fond du fleuve. Elle était ce qu'il contenait : c'était comme se déchirer soi-même. La souffrance se présenta à elle, et la peine, et le deuil, et la rage.

L'Antarkhè échoua dans de fines articulations quantiques, de l'autre côté du flux. Un millénaire s'écoula, avant qu'une galaxie ne la pousse du bras. À ses côtés, sa Terre attendait sans savoir que faire. Les êtres mourraient sans naître, le vent ne parcourait ni les landes, ni les cieux. Les mouvements n'avaient plus de conséquences, les volcans explosaient et renaissaient sans destruction, aucune. Le passé n'était ni devant ni derrière, le futur n'avait pas de raison d'être. L'instant s'étirait.

Longtemps, Néine fomenta sa vengeance. Les astéroïdes lui prêtèrent allégeance, les soleils s'assemblèrent sur sa peau, les galaxies respectèrent ses désirs. Elle vola les Terres des Arkhè, les accueillant en son sein. Victimes de leurs propres fleuves, ils avaient perdu leurs libres-arbitres. Chez eux, le Temps était maître. Chez elle, le Temps n'était plus. Lorsqu'elle fut prête, elle agrandit la déchirure de son fleuve, tarit depuis toujours - tout de suite.

Les Antarkhè qui l'avaient laissé partir furent absorbés comme les autres. Mais Ananta lui échappa, passant d'un Univers à l'autre, d'une bulle-monde à l'autre, d'un fleuve à l'autre. Elle retrouva les Arkhè premiers, ceux qui avaient donné naissance aux autres, ceux qui étaient Tout, et dénonça Néine, l'engouffreuse des Temps.

Ils ne pouvaient pas la détruire. Ils ne pouvaient que l'absorber, comme elle l'avait fait avec ses pairs. Mais ils étaient avant elle, ils savaient ce qu'elle n'avait fait qu'effleurer. La raison de leur être était connue. Ils décidèrent de la soustraire des Temps, ainsi qu'à tous ceux dont elle avait la charge.

C'était samedi hier, dimanche aujourd'hui, mardi demain. Cela fait des vies que les jours ne tournent plus vraiment ronds dans sa tête. Elle passe son temps à essayer de lui donner du sens, à reconstruire doucement le tempo régulier qui lui manque. Sa lune lui sonne chaque heure, car il peut s'écouler des siècles sans qu'elle ne s'en rende compte. Elle n'est plus.

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